De l'impossibilité méthodologique du DPE

 

Maison dorée fissurée – symbole d’un DPE impossible. Illustration DPE EURE, DPE 27, diagnostic de performance énergétique Évreux Normandie.

De l’inapplicabilité méthodologique du Diagnostic de Performance Énergétique en présence d’une carence énergétique structurelle et d’une discontinuité de l’enveloppe thermique rendant toute projection non conforme aux exigences réglementaires de modélisation conventionnelle

 

Dans le champ normatif encadrant la réalisation du Diagnostic de Performance Énergétique tel que défini par les articles L.126-26 à L.126-33 et R.126-15 du Code de la construction et de l’habitation, la notion même de diagnostic repose sur l’existence, à la date de l’inspection sur site, d’un corpus de systèmes techniques actifs, visibles, caractérisables, et susceptibles d’intégration dans le modèle conventionnel 3CL-DPE version 2021. Ce modèle, codifié, opposable et méthodologiquement verrouillé, ne peut en aucun cas être activé sur la base de données lacunaires, extrapolées, hypothétiques ou reconstruites par voie déductive. Il impose, par nature, une lecture physique du bâti en son état d’usage réel, et non une anticipation volontariste de son potentiel énergétique. En ce sens, le DPE ne constitue pas une intention de classement, mais une photographie thermodynamique conventionnelle fondée sur des composants réels.

 

Or, dans une proportion croissante de biens immobiliers — qu’ils soient vacants, désaffectés, partiellement en ruine, ou simplement déséquipés —, le professionnel est confronté à l’impossibilité d’identifier un générateur de chaleur en état de marche, un ballon d’eau chaude raccordé et opérationnel, un dispositif de ventilation mécanique ou naturelle conforme, ou même une continuité matérielle de l’enveloppe thermique autorisant un raisonnement thermique stable. Ces cas ne relèvent pas de la complexité technique : ils relèvent de l’inexistence des conditions minimales de modélisation. Ce n’est donc pas la difficulté d’exécution qui fonde l’abstention du diagnostiqueur, mais la disparition pure et simple du socle méthodologique autorisant la saisie logicielle.

 

L’article R.126-15 précité, en sa formulation impérative, établit sans ambiguïté qu’un bâtiment ou une partie de bâtiment dépourvu de système de chauffage ou de production d’eau chaude sanitaire n’est pas soumis à l’obligation de DPE. Ce dispositif n’ouvre pas une option, il impose une dérogation. L’absence d’équipement énergétique disqualifie l’immeuble du champ d’application de la réglementation thermique transactionnelle, et le rend de facto inclassable au regard de la méthode conventionnelle. Le diagnostiqueur, en tant que professionnel assermenté par certification, n’a dès lors d’autre choix que de constater cette exclusion, de la formaliser par voie d’attestation, et de s’abstenir de toute production de rapport énergétique normé.

 

Certains professionnels, sous l’impulsion de donneurs d’ordre peu informés ou de pressions commerciales plus ou moins explicites, tentent parfois d’introduire la notion de DPE projeté comme palliatif à cette absence de conditions réelles. Or le DPE projeté, prévu comme outil interne de simulation à destination des rénovateurs ou des opérateurs publics, ne constitue ni une obligation, ni un substitut au DPE réglementaire, ni une production opposable. Il ne saurait, en aucun cas, être utilisé pour légitimer une fiction de performance sur un bâtiment méthodologiquement inmodélisable. Et surtout, il ne peut s’appliquer qu’à des bâtiments techniquement aptes à être projetés, c’est-à-dire pourvus d’une enveloppe stable, d’une volumétrie cohérente, et d’un référentiel structurel permettant une hypothèse sérieuse de travaux.

 

Lorsque la matérialité du bâti présente des fissures ouvertes à l’air libre, des plafonds déstructurés, des planchers discontinus, des menuiseries détruites, des rampants ouverts à l’extérieur, ou toute autre pathologie compromettant la continuité thermique, alors non seulement le DPE réglementaire est impossible, mais le DPE projeté lui-même devient une erreur déontologique. On ne projette pas une performance sur un vide structurel. On ne simule pas une étanchéité sur une maison ouverte à tous vents. On ne modèle pas un confort thermique sur un volume partiellement écroulé. Le logiciel ne répare pas les fissures, n’invente pas les réseaux, ne bouche pas les trous dans le plafond.

 

La jurisprudence administrative naissante, les exigences accrues de l’ADEME en matière de traçabilité, et les logiques de contrôle croisé entre opérateurs, rendent d’autant plus périlleuse toute tentative de réalisation artificielle d’un DPE projeté sur fondement instable. La responsabilité professionnelle du diagnostiqueur, tant civile que pénale, peut être engagée en cas de production d’un document à visée contractuelle fondé sur des données supposées. Or, le DPE projeté, bien que non transmis à la DEMP, n’est pas exempt de traçabilité. Il engage son auteur dès lors qu’il est communiqué à un tiers dans un but transactionnel, y compris par simple transmission informelle.

 

Il appartient donc au diagnostiqueur, seul maître de la méthodologie et de la décision de réaliser ou non le DPE, de constater, documenter, et opposer les éléments de réalité qui rendent impossible la production d’un diagnostic conforme. Cette mission n’est ni accessoire, ni dilatoire : elle est au cœur même de la compétence. Lorsque l’on observe un générateur inexistant, un circulateur bloqué, une absence de pression d’eau, une alimentation électrique coupée, des radiateurs démontés, corrodés, ou hors d’usage, on ne peut simuler un bâtiment en service. Lorsque l’on constate un comble non chauffé, non isolé, doté de fenêtres brisées ou de Vélux pourris, lorsque les plafonds sont perforés, que les matériaux de structure sont humides, rongés, affaissés, le DPE cesse d’être un outil d’évaluation et devient une mise en scène.

 

La rédaction d’une attestation de non-réalisation devient alors l’unique acte conforme, techniquement recevable, juridiquement fondé, et éthiquement responsable. Elle doit comporter la description détaillée des empêchements constatés, les caractéristiques techniques du bâti, les pathologies visibles, l’absence de continuité des équipements, l’impossibilité de tester les systèmes, et le rappel de l’exclusion légale prévue par les textes. Elle peut s’accompagner de photographies horodatées des générateurs absents, des réseaux inertes, des ouvertures disjointes, ou des fissures structurelles manifestes. Cette attestation ne dévalorise pas le bien : elle documente une réalité matérielle. Elle protège le professionnel, le vendeur, et l’acquéreur contre toute illusion de conformité.

 

Il ne s’agit pas ici de refuser le progrès, ni de freiner la transition énergétique, mais de rappeler que la vérité technique précède la simulation, que la rigueur réglementaire précède l’intention commerciale, et que le DPE, dans sa forme actuelle, ne peut être détourné en outil de fiction. La performance énergétique se mesure, elle ne s’invente pas. La méthode 3CL n’est pas une promesse, c’est une norme. Elle n’admet ni improvisation, ni reconstruction, ni supposition. Elle s’applique ou elle ne s’applique pas. Et quand elle ne s’applique pas, le devoir du professionnel n’est pas de contourner, mais de consigner.

 

Il n’est pas de DPE sans énergie. Il n’est pas de performance sans système. Il n’est pas de projection sans structure. Et il n’est pas de conformité sans vérité.

 

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