De l'impossibilité méthodologique du DPE
De
l’inapplicabilité méthodologique du Diagnostic de Performance Énergétique en
présence d’une carence énergétique structurelle et d’une discontinuité de
l’enveloppe thermique rendant toute projection non conforme aux exigences
réglementaires de modélisation conventionnelle
Dans
le champ normatif encadrant la réalisation du Diagnostic de Performance
Énergétique tel que défini par les articles L.126-26 à L.126-33 et R.126-15 du
Code de la construction et de l’habitation, la notion même de diagnostic repose
sur l’existence, à la date de l’inspection sur site, d’un corpus de systèmes
techniques actifs, visibles, caractérisables, et susceptibles d’intégration
dans le modèle conventionnel 3CL-DPE version 2021. Ce modèle, codifié,
opposable et méthodologiquement verrouillé, ne peut en aucun cas être activé
sur la base de données lacunaires, extrapolées, hypothétiques ou reconstruites
par voie déductive. Il impose, par nature, une lecture physique du bâti en son
état d’usage réel, et non une anticipation volontariste de son potentiel
énergétique. En ce sens, le DPE ne constitue pas une intention de classement,
mais une photographie thermodynamique conventionnelle fondée sur des composants
réels.
Or,
dans une proportion croissante de biens immobiliers — qu’ils soient vacants,
désaffectés, partiellement en ruine, ou simplement déséquipés —, le
professionnel est confronté à l’impossibilité d’identifier un générateur de
chaleur en état de marche, un ballon d’eau chaude raccordé et opérationnel, un
dispositif de ventilation mécanique ou naturelle conforme, ou même une
continuité matérielle de l’enveloppe thermique autorisant un raisonnement
thermique stable. Ces cas ne relèvent pas de la complexité technique : ils
relèvent de l’inexistence des conditions minimales de modélisation. Ce n’est
donc pas la difficulté d’exécution qui fonde l’abstention du diagnostiqueur,
mais la disparition pure et simple du socle méthodologique autorisant la saisie
logicielle.
L’article
R.126-15 précité, en sa formulation impérative, établit sans ambiguïté qu’un
bâtiment ou une partie de bâtiment dépourvu de système de chauffage ou de
production d’eau chaude sanitaire n’est pas soumis à l’obligation de DPE. Ce
dispositif n’ouvre pas une option, il impose une dérogation. L’absence
d’équipement énergétique disqualifie l’immeuble du champ d’application de la
réglementation thermique transactionnelle, et le rend de facto inclassable au
regard de la méthode conventionnelle. Le diagnostiqueur, en tant que
professionnel assermenté par certification, n’a dès lors d’autre choix que de
constater cette exclusion, de la formaliser par voie d’attestation, et de
s’abstenir de toute production de rapport énergétique normé.
Certains
professionnels, sous l’impulsion de donneurs d’ordre peu informés ou de
pressions commerciales plus ou moins explicites, tentent parfois d’introduire
la notion de DPE projeté comme palliatif à cette absence de conditions réelles.
Or le DPE projeté, prévu comme outil interne de simulation à destination des
rénovateurs ou des opérateurs publics, ne constitue ni une obligation, ni un
substitut au DPE réglementaire, ni une production opposable. Il ne saurait, en
aucun cas, être utilisé pour légitimer une fiction de performance sur un
bâtiment méthodologiquement inmodélisable. Et surtout, il ne peut s’appliquer
qu’à des bâtiments techniquement aptes à être projetés, c’est-à-dire pourvus
d’une enveloppe stable, d’une volumétrie cohérente, et d’un référentiel
structurel permettant une hypothèse sérieuse de travaux.
Lorsque
la matérialité du bâti présente des fissures ouvertes à l’air libre, des
plafonds déstructurés, des planchers discontinus, des menuiseries détruites,
des rampants ouverts à l’extérieur, ou toute autre pathologie compromettant la
continuité thermique, alors non seulement le DPE réglementaire est impossible,
mais le DPE projeté lui-même devient une erreur déontologique. On ne projette
pas une performance sur un vide structurel. On ne simule pas une étanchéité sur
une maison ouverte à tous vents. On ne modèle pas un confort thermique sur un
volume partiellement écroulé. Le logiciel ne répare pas les fissures, n’invente
pas les réseaux, ne bouche pas les trous dans le plafond.
La
jurisprudence administrative naissante, les exigences accrues de l’ADEME en
matière de traçabilité, et les logiques de contrôle croisé entre opérateurs,
rendent d’autant plus périlleuse toute tentative de réalisation artificielle
d’un DPE projeté sur fondement instable. La responsabilité professionnelle du
diagnostiqueur, tant civile que pénale, peut être engagée en cas de production
d’un document à visée contractuelle fondé sur des données supposées. Or, le DPE
projeté, bien que non transmis à la DEMP, n’est pas exempt de traçabilité. Il
engage son auteur dès lors qu’il est communiqué à un tiers dans un but
transactionnel, y compris par simple transmission informelle.
Il
appartient donc au diagnostiqueur, seul maître de la méthodologie et de la
décision de réaliser ou non le DPE, de constater, documenter, et opposer les
éléments de réalité qui rendent impossible la production d’un diagnostic
conforme. Cette mission n’est ni accessoire, ni dilatoire : elle est au cœur
même de la compétence. Lorsque l’on observe un générateur inexistant, un
circulateur bloqué, une absence de pression d’eau, une alimentation électrique
coupée, des radiateurs démontés, corrodés, ou hors d’usage, on ne peut simuler
un bâtiment en service. Lorsque l’on constate un comble non chauffé, non isolé,
doté de fenêtres brisées ou de Vélux pourris, lorsque les plafonds sont
perforés, que les matériaux de structure sont humides, rongés, affaissés, le DPE
cesse d’être un outil d’évaluation et devient une mise en scène.
La
rédaction d’une attestation de non-réalisation devient alors l’unique acte
conforme, techniquement recevable, juridiquement fondé, et éthiquement
responsable. Elle doit comporter la description détaillée des empêchements
constatés, les caractéristiques techniques du bâti, les pathologies visibles,
l’absence de continuité des équipements, l’impossibilité de tester les
systèmes, et le rappel de l’exclusion légale prévue par les textes. Elle peut
s’accompagner de photographies horodatées des générateurs absents, des réseaux
inertes, des ouvertures disjointes, ou des fissures structurelles manifestes.
Cette attestation ne dévalorise pas le bien : elle documente une réalité
matérielle. Elle protège le professionnel, le vendeur, et l’acquéreur contre
toute illusion de conformité.
Il
ne s’agit pas ici de refuser le progrès, ni de freiner la transition
énergétique, mais de rappeler que la vérité technique précède la simulation,
que la rigueur réglementaire précède l’intention commerciale, et que le DPE,
dans sa forme actuelle, ne peut être détourné en outil de fiction. La
performance énergétique se mesure, elle ne s’invente pas. La méthode 3CL n’est
pas une promesse, c’est une norme. Elle n’admet ni improvisation, ni
reconstruction, ni supposition. Elle s’applique ou elle ne s’applique pas. Et
quand elle ne s’applique pas, le devoir du professionnel n’est pas de
contourner, mais de consigner.
Il
n’est pas de DPE sans énergie. Il n’est pas de performance sans système. Il
n’est pas de projection sans structure. Et il n’est pas de conformité sans
vérité.